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Le « pot fêlé »

Ce titre est celui d’un conte souvent utilisé dans nos groupes : c’est l’histoire d’une porteuse d’eau en Chine qui transportait deux pots suspendus. L’un arrivait toujours au bout du chemin avec sa pleine ration d’eau, tandis que l’autre, qui était fêlé, en perdait systématiquement la moitié. Après des années, le second perdit toute estime de lui et commença à désespérer. Mais la femme lui sourit en disant : « as-tu remarqué qu’il y a des fleurs sur ton côté du chemin et qu’il n’y en a pas de l’autre côté ? Sans le savoir, tu les arrosais ».

Cette histoire, c’est l’histoire de Johanna, maman de 45 ans qui élève seule ses trois ados. Les fêlures, elle connaît : depuis sa sortie de l’enseignement spécialisé il y a 25 ans, elle n’a jamais décroché de vrai contrat de travail. Seulement quelques ALE il y a longtemps. Plusieurs décès de proches l’ont amené dit-elle à « faire des bêtises » et à purger une peine d’intérêt général. Elle a aussi connu une grave dépression. C’est une Johanna perdue et sans estime d’elle-même qui arrive chez moi en ce mois d’août 2020. Pourtant, je la découvre aussi très volontaire : « Mes filles sont grandes à présent, me dit-elle, et je peux un peu plus penser à moi. Un jour elles partiront et je me retrouverai seule. Je ne veux pas retomber dans la dépression. Il est temps de me reprendre en mains ». Ok, me suis-je dit, avec ça, on va pouvoir travailler !

Le conte du « pot fêlé » nous sert de base pour le bilan, et fait ressortir tout ce que ses « fêlures » lui ont donné comme forces aujourd’hui. Elle prend le temps de nommer: sens des responsabilités, courage, attention aux plus faibles, compréhension de l’autre, écoute, non-jugement, envie d’aider, capacité à valoriser l’autre, empathie, respect, bienveillance. C’est une découverte pour elle d’apprendre que tout ça a une valeur sur le marché du travail. Elle prend conscience aussi que ce qu’elle donne généreusement pour les autres, elle ne se le donne pas à elle-même. A l’inverse, elle est plutôt dans l’auto-jugement, la non-écoute de ses besoins et de ses désirs, la dévalorisation, la négligence de soi, la non-acceptation de ses faiblesses…

L’outil « énergigramme » permet de dégager des pistes pour viser un meilleur équilibre de vie et un autre rapport à elle-même. Ca la renforce dans son envie de retrouver la maîtrise de sa vie. Un autre outil, l’« explorama », permet de faire émerger son désir professionnel : « Ce qui m’attire aujourd’hui, ce sont des environnements de travail où je peux être au service des gens dans le besoin, en étant à leur écoute, en les aidant à faire ce qu’ils ont du mal à faire par eux-mêmes dans la vie de tous les jours, plutôt dans une petite entreprise ou à domicile. J’ai besoin d’être active et en mouvement. J’aimerais pouvoir leur apporter un soulagement et un bien-être, et faire en sorte qu’ils ne s’ennuient pas. » Elle pense aux personnes âgées ou handicapées, aux enfants.

Au fil des séances, je la vois se redresser physiquement. Son sourire est plus franc, sa démarche plus assurée. Ce n’est déjà plus la maman sans emploi qui est en face de moi, mais une professionnelle en devenir. Elle me parle de ses peurs aussi. Peur de ne pas y arriver. Peur de réussir aussi. Mais cela ne l’arrête pas. Elle y croît de plus en plus. On trouve ensemble une offre d’emploi comme garde-malade chez Gammes qui lui convient parfaitement. Elle réalise avec Alisson une simulation d’entretien et en ressort encore renforcée. « Même s’ils ne me prennent pas tout de suite, j’irai me former ! ». On élabore ensemble un plan d’action avec plusieurs scénarios.

Comme souvent, rien ne se passe comme prévu. La crise sanitaire semble avoir tout mis à l’arrêt, tant du côté des employeurs que de celui des formations. C’est l’épreuve de la patience. Puis mi-novembre, c’est la surprise qu’on n’attendait pas : Cap emploi – à qui Johanna avait transmis le portfolio qu’on a réalisé ensemble – lui propose un article 60 comme éducatrice scolaire ! Elle est ravie et se sent prête à relever le défi. Une nouvelle page de sa vie commence – enfin – à s’écrire…

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